Depuis 2008, les programmes
d’histoire-géographie du collège précisent, pour chacune des séquences à
traiter, les « connaissances » que doivent acquérir les élèves, les
« démarches » à adopter et les « capacités » travaillées
par les élèves. L’intitulé « démarches » peut paraître très directif
et n’impliquer qu’une manière de faire. De fait, il met en évidence
l’importance de la démarche inductive (le travail par étude de cas en
géographie par exemple), mais il ne dit rien sur la mise en œuvre. Progressivement,
j’ai mis en place un enseignement reposant sur trois temps emboîtés.
Temps 1 – la séquence
La séquence correspond à une
partie du programme ou à un thème d’une partie lorsque celle-ci est subdivisée.
C’est un cadre général, point de repère pour les élèves qui se déroule toujours
de la même manière :
- lancement de la séquence / mise
en place de la problématique à
que va-t-on faire pendant cette séquence ?
- la ou les mises en activité
(voir temps 2) ;
- une étape récapitulative
appelée « je sais » qui liste ce qui a été appris en termes de
connaissances et ce qui a été travaillé en capacités/compétences ; ce
« je sais » est destiné à montrer ce qui composera l’évaluation
finale ;
- l’évaluation finale qui s’appuie
sur le « je sais ».
Je crois que ce temps me permet
de formaliser l’alignement constructiviste de Biggs : quand je prépare ma
séquence, je fixe des objectifs de contenus et de capacités, il y a le
déroulement de la séquence où ces objectifs sont travaillés, je vérifie avec
les élèves qu’ils sont identifiés (dans un premier temps, j’écris le « je
sais » d’autorité ; progressivement, dans le courant de l’année, ce
sont les élèves qui me le dictent), ils se retrouvent au cœur de l’évaluation.
Selon le modèle IMAIP de Marcel Lebrun, cela répond également en partie au
souci d’informer (« sur le dispositif », « sur les objectifs,
les critères »), de motiver (« préciser les objectifs (contenus et
méthode) », « préciser les éléments contrôlables de l’activité »).
Cependant, la démarche reste incomplète et sans doute n’est-elle donc pas
totalement efficace. En effet, pour l’instant, les évaluations sommatives ne
listent pas nommément les connaissances et les compétences travaillées pour
montrer leur degré d’acquisition (cela ne transparaît que par l’appréciation
générale et le temps de correction où sont soulignés les liens entre le
« je sais » et chaque exercice). Il est donc difficile pour les
élèves de reconnaître ses compétences et de lister celles sur lesquelles il
doit progresser (« donner des outils de reconnaissance des/de ses
compétences », « souligner les connaissances et les compétences à
atteindre »). La difficulté majeure repose sur la mise en place de
l’outil, une grille générale listant les objectifs suffisamment précise mais
restant lisible par les élèves. Pour l’instant, je travaille avec un tableur
pour lister les différents critères que je mets en œuvre tout au long de
l’année de 6e et dans lequel je coche les élèves qui n’ont pas
atteint l’objectif, afin de travailler pour eux des exercices de remédiation.
Temps 2 – La ou les mises en activité
À l’intérieur de chaque séquence,
une ou plusieurs activités sont menées. Mon objectif premier est qu’elles
soient variées pour éviter de tomber dans la routine qui pourrait lasser les
élèves, pour leur proposer des cheminements qui suscitent leur intérêt (motivation)
et pour traiter des capacités selon un degré variable de complexité (des
capacités attendues des programmes propres à établir un raisonnement historique
ou géographique, à construire un regard critique et à préparer à l’exercice de
la citoyenneté).
Dans tous les cas, les élèves se
trouvent en situation d’activités et la séquence tend à aboutir à une
production, très académique (produire un texte organisé) ou reposant sur des
outils numériques. Je distingue deux grands types de situations avec deux
variantes à chaque fois :
1- le cours en face à face reste le plus fréquemment mis en œuvre.
Là, le cheminement est très guidé, les échanges sont essentiellement entre les
élèves pris individuellement et moi. Les échanges d’élève à élève restent
ponctuels, pour compléter telle réponse, signifier son désaccord avec la
précédente proposition, etc. À la
rigueur, il peut y avoir des phases de confrontation en binôme sur les réponses
apportées au questionnement proposé. Ce cheminement peut aller dans deux
sens :
1A – partir d’un questionnement simple pour aboutir à une situation
complexe. Exemple : l’Orient ancien en 6e à travers la démarche
d’un archéologue à Mari (site en Syrie) ; les questions guident les élèves
de la découverte d’un objet (comment est-il fait ? d’où viennent les
produits qui ont permis sa réalisation ? qu’est-ce que cela nous apprend
sur les manières de vivre, construire, gouverner, croire, etc. ?) à la
confrontation des connaissances d’autres archéologues (comparer avec d’autres
sites archéologiques, d’autres objets pour mettre en place de la notion de
civilisation) ; enfin, en rendre compte en faisant le commentaire sonore
d’une reconstitution 3D de la ville ce qui implique de décrire et d’expliquer,
de faire le lien entre ce que l’on voit et ce qui a été construit tout au long
de la séquence, de l’exprimer ;
1B – partir d’une situation complexe (qui paraîtra parfois très
simple aux élèves), travailler des documents pour soulever la complexité et en
partie lui apporter des explications, revenir à la situation initiale pour
mesurer le chemin parcouru. Exemple : pour la séquence Habiter les espaces
à fortes contraintes (6
e), décrire la photographie de Yann Arthus
Bertrand,
Mosquée dans un quartier d’El
Oued (
http://www.yannarthusbertrand2.org/index.php?option=com_datsogallery&Itemid=0&func=detail&catid=15&id=269&l=1366)
et relever ce que l’on apprend de la manière d’habiter cet espace ;
apporter des documents permettant de mieux comprendre les deux principales
parties de la photographie ; revenir à la photographie pour faire le
croquis et mesurer ce qui a été appris depuis le premier exercice.
2- Plus occasionnellement, la mise en activité repose sur des
situations où les élèves construisent leurs connaissances à partir d’une
recherche documentaire, la plupart du temps en groupes. Mon intervention permet
surtout de vérifier que tous les groupes avancent et vont aboutir à la
production souhaitée (tant en objectifs formels que de fond), de les aider dans
une démarche précise.
2A – La recherche documentaire aboutit à la réalisation d’une
production, plusieurs groupes peuvent avoir le même sujet ; le cheminement
dans la séquence est uniquement parallèle. Exemple 1 : réaliser la
maquette 3D de l’église visitée, faire une vidéo associant la maquette et un
commentaire sonore donnant les caractéristiques architecturales et expliquant à
quel style elle appartient (La place de l’Église, 5e) ; exemple
2 : chaque groupe travaille sur un monument parisien construit au XIXe
siècle ou ayant connu des épisodes marquants au XIXe siècle afin de
comprendre les évolutions politiques de la France (4e) ; Chaque
monument permettant d’apporter tous les éléments attendus, le résultat final
collectif – le guide touristique ou audioguide selon la production attendue –
est une juxtaposition de travaux.
2B – La recherche documentaire de chaque groupe aboutit à la
réalisation d’une production d’une partie des connaissances attendues, le tout
permettant la confrontation de points de vue différents (éducation civique) ou
à une synthèse par apports respectifs ; j’interviens alors pour ordonner
les productions respectives (présentation orale, phrase de synthèse).
Je me suis beaucoup interrogée
sur les raisons pour lesquelles je proposais tel type d’activité dans telle
relation professeur/élèves, alors qu’objectivement l’un n’impose pas l’autre
(exemple : recherche documentaire par élève ; l’étude du paysage d’El
Oued pourrait aussi bien se faire en groupe en fournissant les documents,
chaque groupe devant étudier les deux espaces ou un puis réunion des informations).
Je crois que deux approches se juxtaposent :
- ce que j’ai vécu comme élève,
la relation frontale pour une transmission de connaissances surtout (mais pas
seulement) ; je reproduis donc ce que j’ai vécu, c’est ce qui me semble le
plus proche initialement de ma représentation du métier d’enseignant et de la
situation d’enseignement. Certaines contingences matérielles (disposition des
tables et des chaises dans la salle, mon bureau proche du tableau) m’ont
confortée dans cette position. Il n’empêche, qu’à l’heure actuelle, cela reste
pour moi le moyen le plus efficace que j’ai pu trouver pour repérer des élèves
en difficulté, leur proposer une aide (précision dans le questionnement,
document d’aide, réduction des objectifs dans une tâche complexe pour atteindre
ces objectifs plutôt que de n’aboutir à rien sur un plus grand nombre) et une
remédiation.
- le passage par la recherche en
histoire m’a amené à proposer des activités de recherche documentaire comme
démarche la plus proche du raisonnement historique. De plus, devant la masse
d’informations désormais accessible (du moins techniquement, matériellement ou
immatériellement), je crois que les finalités de l’enseignement ont changé. Il
ne s’agit plus seulement de faire acquérir des connaissances, des compétences
générales avant la spécialisation dans un domaine précis en vue d’une
professionnalisation précise, mais aussi de donner les éléments pour apprendre
tout au long de sa vie (rendre efficient l’accès aux informations pour
construire sa propre formation, exercer un regard critique sur les informations
disponibles, les classer, les sélectionner en fonction de ses attentes,
éventuellement en produire à son tour). La mise en œuvre sous forme de groupes
répondait alors essentiellement à des contingences matérielles (le nombre
d’ouvrages disponibles au CDI sur un sujet, le ratio nombre
d’ordinateurs/nombre d’élèves pour une recherche informatique, la gestion du
temps en incitant les élèves à se partager le travail à l’intérieur du groupe).
Les premières expériences m’ont fait prendre conscience de la
« plus-value » (effet secondaire non attendu mais bénéfique en somme)
du travail en groupes : celui qui ne travaille pas se fait tancer par les
autres qui ne veulent pas faire tout le travail, celui qui n’a pas compris
reçoit l’aide d’un autre élève, les élèves se répartissent les activités pour
être plus efficace et s’appuyer sur les compétences propres reconnues à chacun,
chaque groupe avance à son rythme et, certains, plus à l’aise, peuvent
approfondir, etc.
Je suis au milieu du gué. Je
perçois les intérêts des deux approches, je glisse vers la seconde sans vouloir
qu’elle devienne la seule. Si je ne les mets pas encore en œuvre, je parviens à
trouver des alternatives sous le format groupes pour les activités proposées
pour l’instant individuellement. Inversement, le principal frein à une
recherche documentaire plus personnelle est son format : trop longue, trop
ambitieuse peut-être, elle est trop chronophage dans sa forme actuelle pour
être plus régulièrement entreprise. La difficulté repérée, elle deviendra
peut-être plus facile à surmonter.
Ainsi, en ce qui concerne la mise
en œuvre des séquences, je crois retrouver trois éléments du modèle IMAIP comme
compris et à peu près mis en application (motiver, activer, produire) quoique
certains éléments restent à renforcer (« travailler la cohérence des
activités », « faire jouer l’apprentissage collaboratif »,
« confronter l’œuvre aux critères », « soulever les nouvelles
questions » par exemple). L’interaction est le très gros point
faible : « choisir les tâches adéquates », « renforcer
l’interdépendance », « favoriser l’émergence de points de vue
différents », etc.). De même, la
granularité faible aux documents (dans informer) est une piste pour améliorer
les situations d’apprentissage.
Temps 3 – Le temps long
En dernier lieu, chaque séquence
apparaissait comme un îlot plus ou moins lointain du précédent et du suivant et
la jonction entre elles paraissait ténue, voire inexistante pour les élèves. En
somme, à leurs yeux, il n’y avait pas de continuité dans l’enseignement, tout
au long de l’année, a fortiori sur
l’ensemble de leur scolarité au collège (sinon l’étiquette HG ou le nom du
professeur…). C’est par le support que des solutions ont été recherchées,
l’objectif étant de leur montrer et qu’ils gardent trace de la progressivité de
leurs apprentissages.
Dans un premier temps, les élèves
avaient trois supports : le(s) cahier(s) où étaient notées les leçons,
faits les exercices, etc. ; un répertoire et un classeur gardés sur
l’ensemble de la scolarité au collège (le collège est de petite taille, je n’ai
qu’un-e collègue qui peut à la rigueur travailler différemment, les changements
d’établissement en particulier les arrivées sont rares) réunit le vocabulaire
progressivement acquis et des documents progressivement remplis pour la
mémorisation des repères spatiaux et temporels, pour la mise en place de
méthode de lecture des documents, etc. La gestion de ces multiples supports, le
poids que cela occasionnait, les oublis d’une partie m’ont fait opter dans un
second temps pour la réduction du nombre de cahiers (il y en avait un pour
l’histoire-géographie, un autre pour l’éducation civique), la couleur des
titres permettant de constater le changement de discipline (la continuité dans
le cahier permettait parfois d’afficher et d’aller chercher la complémentarité
des leçons des différentes matières).Enfin, dans un troisième temps, un support
unique a été retenu, le classeur, avec différents intercalaires réunissant 1-
la leçon (en gardant le principe d’un intercalaire unique pour toutes les
séquences et le code couleur), 2- les repères spatiaux, 3- les repères
chronologiques, 4- les points de méthode, 5- les fiches Histoire des arts, 6-
le vocabulaire. A l’intérieur des intercalaires 2 et suivants, des
documents synthétiques sont complétés au fur et à mesure des séquences et mis
en parallèle (ex. un planisphère repères physiques à mémoriser et un
planisphère repères sur le peuplement
sont complétés tout au long de l’année de 6e et placer face à face).
Ces documents sont conservés d’une année sur l’autre pour poursuivre leur
remplissage et permettent la révision des repères du brevet d’une part, de
toujours s’appuyer sur ce qui a déjà été vu au sujet d’une capacité pour
continuer à la travailler, etc. Le
« Je sais » (voir temps 1) permet de faire le lien entre les
différents intercalaires si jamais l’information est très dispersée. Cela me
paraît renforcer ce que les élèves savaient antérieurement et la possibilité de
le retrouver régulièrement pour le revoir et montrer aussi que le chemin restant
à parcourir pour maîtriser une capacité (ce qui me paraît rejoindre l’informer
et le motiver de modèle IMAIP). Le point faible est la difficulté pour des
élèves de 6e de gérer un classeur et certaines dénominations des intercalaires
sont à revoir (« géo » pour les repères spatiaux induit les élèves à
ranger leur leçon de géographie dans cet intercalaire, j’opterai l’année
prochaine pour Carto moins ambigu). L’expérience paraît cependant concluante à
ce stade.